Les troubles du sommeil ne concernent pas uniquement les personnes qui dorment peu.
Mal dormir, c’est aussi dormir « trop » et parfois à des moments inopportuns (en regardant la télévision, en lisant, en parlant à quelqu’un, en bricolant, en mangeant…), ce qui peut durement affecter le quotidien.
Si l’insomnie devient un véritable fléau qu’il convient de traiter et surtout de prévenir, les hypersomnies, moins connues du grand public, nécessitent aussi toute notre attention.
Problèmes familiaux et professionnels, fatigue quasi permanente, repli sur soi, dépression, vie sociale perturbée, l’hypersomniaque fait face à de nombreux tourments. Sans compter son incapacité à maintenir une vigilance et une attention correcte durant la journée qui peut constituer un grand danger pour lui-même et pour autrui.
De fait, une somnolence excessive expose à un risque accru d’accidents domestiques, du travail et de la route. En Europe, on estime que 10 à 20 % des accidents mortels de la circulation et 20 à 30 % des accidents mortels sur autoroute sont dus à la somnolence au volant (source: awsr.be).
Dans cet article, j’aborderai avec vous trois catégories spécifiques d’hypersomnies d’origine centrale, à savoir la narcolepsie, l’hypersomnie idiopathique et le syndrome de Kleine-Levin.
Je terminerai enfin par vous présenter le cas particulier du syndrome d’insuffisance du sommeil, une pathologie en recrudescence permanente puisqu’elle est à l’origine d’environ 5 à 10% des consultations pour somnolence diurne excessive.
Si vous vous reconnaissez dans la description de l’une de ces pathologies du sommeil, ne paniquez pas car des solutions existent. Elles consistent le plus souvent en un traitement médical et un respect des règles d’hygiène de sommeil.
Si vos problèmes de sommeil semblent complexes et surtout récurrents, et si vos accès de somnolence persistent malgré un temps de sommeil correct, consultez votre médecin traitant ou un spécialiste du sommeil.
Pour la rédaction de ce texte, je me suis basée sur la dernière Classification internationale des pathologies du sommeil (ICSD-3).
Les hypersomnies appartiennent aux maladies dites rares.
Par « maladies rares », on sous-entend qu’elles concernent une infime partie de la population. En médecine, on parle de prévalence faible.
Les statistiques actuelles montrent que les hypersomnies toucheraient entre 1 personne sur 10.000 et 1 personne sur 100.000. Il apparait cependant qu’elles seraient surtout sous-diagnostiquées par manque d’information du public et du corps médical.
À cela s’ajoutent la confusion entre la fatigue et la somnolence, et la croyance populaire selon laquelle la somnolence excessive serait la conséquence d’une simple privation de sommeil ou d’une dépression.
Certains hypersomniaques seraient même perçus comme des paresseux, tandis que d’autres tentent de maintenir un niveau correct de vigilance à coups de stimulants (abus de caféine, de théine et de boissons énergisantes).
Inutile de vous dire à quel point leur parcours diagnostique ressemble dès lors plus à un long chemin de croix qu’à un parcours de santé.
Enfin, quand ils ont la « chance » d’être diagnostiqués comme il se doit, c’est très souvent sur le tard et après des années d’errance médicale.
Regardons à présent de plus près ces troubles du sommeil si particuliers.
Mais tout d’abord, un peu de vocabulaire.
Appelées aussi « maladies de la vigilance », les hypersomnies se caractérisent par un excès de sommeil nocturne et une somnolence de jour excessive (SDE).
La somnolence n’est pas de la fatigue. Il est important de le préciser car ces deux termes sont souvent confondus.
En voici les définitions exactes :
La somnolence diurne excessive est donc bel et bien un indicateur d’hypersomnie, mais elle peut aussi être liée à une privation de sommeil temporaire, à l’effet d’un médicament ou d’une drogue, à un autre trouble du sommeil (e.a. apnées du sommeil, syndrome des jambes sans repos), à une affection psychiatrique (dépression) ou à une maladie (hypothyroïdie, Parkinson…).
Pour l’évaluer, les spécialistes du sommeil ont recours à l’échelle de somnolence d’Epworth.
Facile d’emploi, cette échelle permet de quantifier le risque d’assoupissement dans des situations du quotidien (assis en train de regarder la télévision, en tant que passager d’une voiture…).
Elle consiste en un auto-questionnaire à points avec une somme totale à calculer.
Cette évaluation a toutefois ses limites car elle repose sur des critères subjectifs. Ainsi, autant des résultats faussement positifs que faussement négatifs existent. Dans ce dernier cas par exemple, une personne très somnolente obtient un faible score car elle fait d’énormes efforts ou utilise différents stratagèmes pour maintenir un niveau de vigilance suffisant dans sa vie de tous les jours.
Le terme « narcolepsie » a été introduit en 1880 par Jean-Baptiste Gélineau (d’où son autre nom de « maladie de Gélineau »), célèbre neurologue français. Il est dérivé du Grec narcos qui signifie « sommeil », et lepsis qui veut dire « attaque ou crise ».
La narcolepsie est considérée comme une maladie rare car sa prévalence est faible (environ 2 personnes sur 10.000). Les hommes sont plus souvent touchés que les femmes.
Elle est une maladie vraisemblablement auto-immune qui attaque les neurones à hypocretine (ou orexine), responsables du maintien de l’éveil. Elle serait déclenchée par une possible infection (à virus influenza ou à streptocoques A).
Des formes de narcolepsies secondaires sont également décrites à la suite de graves pathologies du cerveau (traumatisme crânien, encéphalite, tumeur) et de maladies dégénératives ou génétiques.
Autre cause probable : la génétique. En effet, chez les apparentés du 1er degré d’un patient narcoleptique, le risque de développer la maladie est 20 à 40 fois plus élevé que dans la population générale (Bienfaits et troubles du Sommeil. Comprendre pour mieux prendre en charge, J.-E. Vanderheyden & S. Noël, Ed. De Boeck Supérieur, 2016).
Cette affection se manifeste en général autour de 25 ans, mais l’âge d’apparition des premiers symptômes peut être variable (début vers 15 ans voire dès l’enfance dans 5% des cas). Le diagnostic est souvent établi tardivement, d’autant plus dans la narcolepsie de type 2 (sans cataplexie) où certains cas passent carrément au travers des mailles du filet.
Parmi les symptômes les plus évocateurs, on retrouve :
Enfin, la narcolepsie s’associe fréquemment à d’autres pathologies que l’on appelle comorbidités. Parmi celles-ci, on retrouve d’autres troubles du sommeil (syndrome des jambes sans repos, apnées du sommeil, trouble du comportement du sommeil paradoxal, insomnie), de l’obésité (environ 30% des narcoleptiques), du diabète, des céphalées, des troubles psychiatriques (dépression, anxiété) et cognitifs.
L’hypersomnie idiopathique se traduit par des accès de sommeil plus progressifs que dans la narcolepsie. Ils n’en sont pas pour le moins très invalidants.
Cette affection chronique n’a toujours aucune cause formelle identifiée, bien qu’on observe une occurrence familiale dans 50 à 60 % des cas.
L’hypersomnie idiopathique apparait en moyenne entre 15 et 35 ans.
Contrairement à la narcolepsie, les siestes sont longues et peu réparatrices.
On observe également une inertie du sommeil au réveil (désignée par le terme « ivresse du sommeil »), ce dernier étant particulièrement difficile.
Les patients rapportent qu’ils ont l’impression de ne jamais être tout à fait bien réveillés et de passer leurs journées « dans le brouillard ». L’hypersomnie idiopathique a d’ailleurs un retentissement social et professionnel négatif. Elle peut conduire, entre autre, à des affects dépressifs qui ne doivent pas être pris à la légère, d’autant plus quand elle apparait à l’adolescence.
En cas d’accès de sommeil irrépressibles et d’un temps de sommeil anormalement long et peu récupérateur, parlez-en à votre médecin traitant ou adressez-vous à un Centre du Sommeil. Des spécialistes vous y feront passer tous les examens nécessaires afin de poser un diagnostic clair et vous offriront, le cas échéant, une prise en charge adaptée.
Le traitement visera essentiellement la restauration d’une vigilance diurne compatible avec une vie personnelle, sociale, relationnelle et professionnelle satisfaisante. Pour ce faire, les médecins prescriront le plus souvent un traitement éveillant, comme c’est également le cas dans la narcolepsie.
Les règles d’hygiène de sommeil devront également être scrupuleusement respectées.
Si besoin, un soutien psychothérapeutique pourra être proposé.
Enfin, un aménagement des horaires de travail (ou d’études) est fortement recommandé afin de ne pas alourdir davantage le quotidien. Ici aussi, l’entourage familial et socio-professionnel devra être prévenu et, espérons-le, compréhensif !
Le syndrome de Kleine-Levin est une maladie neurologique très rare (1 cas sur 10.000.000) qui concerne plus spécifiquement les jeunes hommes.
Il se traduit par des épisodes de somnolence et de torpeur qui peuvent amener la personne à dormir en excès (plus de 16 heures par 24 heures) et à rester au lit durant des jours.
En dehors de ces épisodes qui sont parfois accompagnés de troubles cognitifs (apathie, confusion mentale, amnésie…), de problèmes comportementaux (désinhibition sexuelle, modification de l’appétit…) et d’hallucinations, la personne fonctionne tout à fait normalement.
Dans de nombreux cas, les moments de « crise » s’espacent et s’atténuent. Dans une grande proportion, ils disparaissent à l’approche des trente ans.
L’origine de cette maladie spectaculaire et très invalidante reste encore floue. Il semblerait qu’elle soit liée à un dérèglement de l’hypothalamus.
Cette petite glande située sous le cerveau est d’une importance majeure car elle contrôle, telle une horloge interne, la plupart de nos fonctions vitales (faim, soif, température corporelle…), en ce compris la régulation du sommeil.
À un niveau préventif, les professionnels de santé recommandent la prise de lithium associée à un sommeil régulier et à l’évitement de l’alcool et des infections (les épisodes de Kleine-Levin sont souvent déclenchés par des infections).
Le traitement repose également sur la prise de lithium qui réduit la fréquence et l’intensité des épisodes. Pour une personne sur trois, ce traitement parvient même à stopper la maladie.
Pendant les épisodes, les patients rapportent se sentir bien mieux quand ils restent à la maison, sous la supervision de leurs parents.
Enfin, une hospitalisation peut s’avérer nécessaire lorsque l’humeur dépressive devient trop intense ou que des symptômes psychotiques apparaissent.
Le syndrome d’insuffisance de sommeil consiste en une privation chronique, insidieuse et volontaire de sommeil.
La personne qui en souffre accumule une forte dette de sommeil sans avoir conscience des risques encourus.
L’insuffisance de sommeil a toujours existé, mais elle est nettement plus présente à notre époque.
À l’ère de l’hyperconnectivité, du « tout tout de suite » et du travail posté, nombreux sont ceux qui subissent une pression quasi permanente et qui sacrifient leur temps de sommeil sur l’autel de la productivité.
Le profil type est un individu âgé d’une quarantaine d’années, hyperactif, bourreau de travail et chef de famille.
On retrouve souvent des mères célibataires à la charge mentale démesurée qui multiplient les emplois pour joindre les deux bouts, des cadres supérieurs, des business-(wo)men en fréquents décalages horaires et des travailleurs aux horaires décalés (soignants, restaurateurs, policiers, etc).
Si l’insuffisance du sommeil est notoire dans ce syndrome, il n’y pas de signes d’insomnie. La personne s’endort d’ailleurs assez rapidement et ne se réveille pas pendant la nuit. De plus, elle récupère souvent lors des weekends avec un temps de sommeil plus long (de 5 à 6 heures de sommeil en semaine à – dans le meilleur des cas – 9 heures le week-end).
En cours de journée, la personne parvient encore à masquer ses envies de sommeil à l’aide de stimulants (café, thé…) et en étant hyperactif.
Dans le courant de l’après-midi et lors du début de soirée, comme il devient de plus en plus difficile de lutter, les signes d’une forte somnolence apparaissent. Ce sont ces signes qui doivent alerter la personne et/ou son entourage.
D’autres signes cliniques peuvent également accompagner le syndrome de privation chronique de sommeil : des douleurs musculaires, des troubles anxieux voire de l’humeur, des problèmes gastro-intestinaux, des troubles alimentaires et visuels.
Si vous dormez moins de 6 heures par nuit et que vous vous sentez surmené et fatigué en fin de journée, et ce depuis plus de trois mois, vous souffrez très probablement d’un manque chronique de sommeil, avec toutes les conséquences que cela implique sur votre santé à court, moyen et long terme.
Il faut savoir que peu d’individus sont capables de se satisfaire de courtes nuits. Rares sont les vrais petits dormeurs qui ont la chance d’être en forme avec très peu de sommeil.
La plupart des petits dormeurs ont en réalité besoin de beaucoup plus de sommeil qu’ils ne s’octroient. Malheureusement, trop accaparés par leurs impératifs socioprofessionnels et leurs lourdes responsabilités, ils remettent leur sommeil à plus tard. Or, du sommeil perdu est du sommeil perdu car on ne récupère jamais totalement.
Si aucun autre trouble n’est associé (une dépression, un burn-out ou l’effet d’un médicament), le seul remède efficace contre l’insuffisance de sommeil est… le sommeil !
Les hypersomnies sont de véritables maladies chroniques qui nécessitent un diagnostic clair et une prise en charge adaptée.
Le plus souvent sous-diagnostiquées, elles s’avèrent être plus prégnantes que les statistiques officielles ne le démontrent.
Si vous vous sentez anormalement somnolent et/ou que votre sommeil s’avère être peu réparateur, prenez rendez-vous avec votre médecin traitant ou directement via un Laboratoire de sommeil agréé.
Si l’un de vos proches est concerné par des accès de sommeil incontrôlables, prenez du recul avant d’émettre le moindre avis. Il se pourrait qu’il souffre d’une forme d’hypersomnie et qu’il ait besoin d’aide. Au besoin, faites-lui lire cet article.
N’hésitez pas à me laisser votre avis en commentaires.
Votre expérience, vos ressentis, vos partages et vos soutiens me sont précieux.
Prenez soin de votre sommeil, il prendra soin de vous.
Caroline