L'insomnie : quand la spirale devient infernale

Spirale

Il n’existe pas moins d’une centaine de troubles de sommeil. 

Parmi eux, l’insomnie est le plus courant.  Elle est d’ailleurs l’un des problèmes de santé les plus fréquemment rapportés auprès des médecins généralistes.

Si ses conséquences sur la santé et son cout socioéconomique en font un problème majeur de santé publique, l’insomnie est encore peu prise en considération, voire minimisée.  Telle une maladie honteuse, l’insomnie laisse bien souvent démunies les personnes qui en souffrent en silence.

Or, en parler est important. Au-delà du fait que sortir de l’isolement apporte du soulagement, parler de son insomnie permet aussi de dédramatiser et d’être correctement pris en charge si besoin.

A partir de quand parle-t-on véritablement d’insomnie ? Quelles sont ses différentes formes, comment se diagnostique-t-elle et quelles en sont les conséquences? Quelques éléments de réponse dans cet article qui se base sur les dernières découvertes scientifiques en la matière.

Insomnie : à partir de quand doit-on s’inquiéter ?

Il est parfaitement normal de mal dormir ou d’avoir des insomnies de temps à autre.  Vous ne devez pas vous en inquiéter.  Le sommeil est un mécanisme qui échappe à notre contrôle et les mauvaises nuits font partie intégrante de la vie.

Le plus souvent, une amélioration de l’hygiène de sommeil apportera de bons résultats. À terme, ces actions deviendront de bonnes habitudes et vous devriez retrouver plus facilement les bras de Morphée.  

Vous pouvez aussi vivre un moment difficile qui vous rend particulièrement anxieux (des soucis professionnels, un déménagement, un divorce…) ou même un évènement heureux qui vous procure une exaltation qui vous tient en éveil.  Lorsque la situation de « crise » passe, tout rendre dans l’ordre en général.

En revanche, lorsque l’insomnie s’installe véritablement dans votre vie, il est essentiel d’en repérer la cause car elle sera toujours l’expression que quelque chose ne va pas.  Vous pourriez par exemple souffrir d’une maladie ou d’un autre trouble du sommeil (apnées du sommeil, syndrome des jambes sans repos…) ou avoir développé une forte anxiété autour du sommeil qui crée un cercle vicieux.  Dans tous les cas, l’insomnie, telle la partie visible de l’iceberg, est toujours le signe d’un déséquilibre auquel il est important d’être attentif.

Insomnie ou manque de sommeil ?

Dans notre société qui incite de plus en plus à la performance, à la rentabilité et où les distractions sont nombreuses de jour comme de nuit, il existe une multitude de petits dormeurs.  

Si certains se portent comme un charme après 5 ou 6 heures de sommeil, d’autres accumulent une sérieuse dette de sommeil qui n’est pas sans conséquence sur leur santé. Car les vrais petits dormeurs sont plutôt rares.  Ce n’est pas une question de chance, mais de génétique.

La plupart des individus qui dorment peu sont en réalité de faux petits dormeurs qui sacrifient leur temps de sommeil et récupèrent tant bien que mal le week-end ou lors de courtes siestes.  Ils s’endorment dès qu’ils en ont l’occasion et à peu près n’importe où, ce qui n’est pas le cas des insomniaques.  Eux ne font pas ce qu’ils veulent avec leur sommeil.

La définition actuelle de l’insomnie

homme réveillé pendant la nuit souffrant d'insomnie

Le terme insomnie nous vient du 16ème siècle.  Il est dérivé du mot « insomnia » (du latin somniculus, « état de celui qui dort « ) et signifie littéralement « la privation de sommeil ».

Au fil des ans, la définition de l’insomnie a beaucoup évolué et s’est affinée. Sur Internet, vous trouverez encore de nombreuses terminologies et classifications qui, si elles ne sont pas fausses, risquent tout de même de prêter à confusion.

Afin de vous fournir des informations récentes, je me base principalement sur les derniers critères figurants dans le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).

L’insomnie y est présentée selon deux critères principaux :

  1. Une insatisfaction liée à la quantité ou à la qualité du sommeil associée à un ou plusieurs symptômes suivants :
  • Difficulté d’endormissement.
  • Difficulté de maintien du sommeil caractérisée par des réveils fréquents ou des problèmes à retrouver le sommeil après un éveil.
  • Réveil matinal précoce avec une incapacité à se rendormir.

 

Ces trois types de symptômes ne sont pas isolés les uns des autres.  Vous pouvez n’en présenter qu’un seul ou les trois, voire même changer avec le temps de type d’insomnie (avec l’âge, on observe davantage de réveils précoces par exemple).  Les scientifiques disent d’ailleurs qu’il n’existe pas une mais des insomnies.

  1. La perturbation du sommeil est à l’origine d’une détresse marquée ou d’une altération du fonctionnement dans le domaine social, professionnel, éducatif, scolaire ou dans d’autres domaines importants.

 

Le facteur temps et la fréquence des épisodes d’insomnie sont d’autres critères qui doivent être pris en compte pour parler véritablement d’insomnie.  C’est ce que nous allons voir maintenant.

La différence entre l’insomnie chronique et l’insomnie passagère

L’insomnie passagère

L’insomnie passagère est relativement fréquente puisqu’elle touche environ 30 % de la population. D’ailleurs, il ressort des dernières études que 90 % des personnes dans le monde connaitront au moins un épisode d’insomnie dans leur vie.

Également appelée occasionnelle, d’ajustement, transitoire ou encore aigüe, cette forme d’insomnie peut avoir de multiples causes telles que : une mauvaise hygiène de sommeil (exposition excessive aux écrans, horaires irréguliers de coucher…), des évènements de vie (naissance, divorce, déménagement…), une gêne ou une douleur physique, des perturbations environnementales (bruit, chaleur, décalage horaire…), etc. 

En général, l’insomnie passagère dure de quelques jours à quelques semaines. Elle se résorbe rapidement lorsque le facteur causal est évincé ou estompé. 

Elle peut toutefois persister et évoluer vers une insomnie chronique chez les personnes plus vulnérables, surtout celles qui ont tendance à être anxieuses et perfectionnistes.

L’insomnie chronique : quand la spirale s’installe

L’insomnie chronique fait souvent suite à une insomnie passagère et concerne environ 10 à 20% de la population.  Par ailleurs, elle touche deux fois plus les femmes que les hommes.

Elle est caractérisée comme telle quand elle survient plus de trois fois par semaine et que les difficultés de sommeil sont présentes depuis au moins trois mois (critères du DSM-5).

Les origines de l’insomnie chronique sont multiples et se chevauchent la plupart du temps, ce qui en fait un trouble particulièrement complexe.  Parmi les facteurs de causalité mis en évidence, on retrouve : une prédisposition (hypervigilance, anxiété…), un ou des facteur(s) déclenchant(s), et des facteurs de maintien

Ce sont ces derniers qui entretiennent le cercle vicieux. Ils consistent en des comportements défavorables au sommeil (e.a. passer trop de temps au lit, faire la sieste), souvent favorisés par des pensées dysfonctionnelles (e.a. la peur de ne pas dormir, de ne pas être forme le lendemain, de devenir fou) et une anxiété de performance. C’est elle qui est le véritable moteur du cercle vicieux de l’insomnie. Malheureusement, plus le désir de réussir à bien dormir est fort, plus l’inverse se produit

J’ai donné un joli nom à ce mécanisme qui m’a bien empoisonné l’existence pendant une bonne dizaine d’années : la « spirale infernale ». 

Si vous êtes victime d’insomnie chronique et que vous prenez conscience de ce mécanisme, sachez que vous n’en êtes pas pour autant fautif. Ce trouble, dit aussi « psychophysiologique », est un assemblage complexe et pluridirectionnel entre le corps, l’esprit, les émotions et les comportements.

L’insomnie, ça n’est pas que « dans la tête »

Nous l’avons vu, le facteur psychologique est prépondérant dans l’insomnie.  

Cependant, il serait réducteur de réduire ce trouble du sommeil à ses seuls mécanismes mentaux car il y a tout un éventail de manifestations corporelles qui l’accompagnent et qui expliquent pourquoi il est si difficile d’en sortir.

De nombreux chercheurs ont analysé les causes biologiques de l’insomnie chronique et ont identifié un coupable : le système nerveux sympathique. 

Le système nerveux sympathique fonctionne de manière tout à fait autonome (on l’appelle aussi « système nerveux autonome »).  Issu d’un réflexe ancestral de « lutter ou fuir », il nous permet de réagir de manière adéquate lorsque nous sommes soumis à une menace ou à un stress aigu.

Les conséquences physiologiques de sa mise en activité sont nombreuses : augmentation du rythme cardiaque, du flux sanguin et du métabolisme, contractions musculaires, libération des hormones du stress (telles que l’adrénaline et le cortisol) et hausse de l’activité cérébrale

Toutes nos ressources sont mobilisées : force physique, attention, concentration, etc.

Le stress en tant que tel n’est donc absolument pas nocif.  Il consiste en une réponse adaptative naturelle imprimée au plus profond de notre cerveau et qui a d’ailleurs permis à l’humanité de survivre.  Vous évitez un accident de justesse, donnez votre maximum lors d’un match de tennis et avez les bons réflexes en cas de menace ?  Dites merci à votre stress qui vous a offert la possibilité de vous sauver de bien des dangers, de surmonter vos peurs et même de vous surpasser.

Face à cet état d’alerte, notre corps est mis à rude épreuve, mais il dispose heureusement de facultés d’adaptation remarquables, à la condition que les facteurs de stress restent minimes ou ponctuels

Imaginez un moteur qui ne s’arrête jamais, c’est la surchauffe assurée.  Chez l’être humain, on appelle cela le stress chronique, un état de vigilance quasi constant extrêmement néfaste pour l’organisme.  Il provoque d’ailleurs toutes sortes de problèmes psychologiques et somatiques (des maux de dos aux pathologies cardiaques, en passant par la chute de cheveux, les vertiges, les migraines et les réactions cutanées)… en ce compris des insomnies ! 

A forte dose, et à l’usure, il conduit tout droit au burn-out, un état d’épuisement physique et émotionnel si avancé qu’il laisse l’individu complètement à plat.

Les conséquences de l’insomnie chronique

 

Dormir est un besoin vital, au même titre que respirer ou se nourrir.  À ce sujet, je vous invite à lire l’article que j’ai consacré au sommeil et à son rôle essentiel.

Par conséquent, un sommeil perturbé et de mauvaise qualité va engendrer toute une série de problèmes assez invalidants et bien connu des insomniaques. 

Parmi les répercussions de l’insomnie sur la vie quotidienne, on retrouve notamment : un recours plus important aux soins de santé, un taux d’absentéisme plus élevé, une baisse de productivité, une diminution de la qualité de vie, une altération de la mémoire et de la concentration, de l’irritabilité, de l’anxiété et un sentiment d’impuissance, une altération de l’humeur et un sentiment de détresse qui peuvent conduire à une dépression et, enfin, une grande fatigue qui expose à un risque accru d’accidents domestiques, de travail et de la route

Ajoutons à cela des relations interpersonnelles qui sont souvent impactées (familiales, amicales et/ou professionnelles), poussant l’insomniaque à s’isoler davantage.

Une insomnie récurrente et sévère est également associée à un risque accru de développer des problèmes de poids (voire de l’obésité), du diabète, de l’hypertension, des maladies cardio-vasculaires et certains cancers. Toutes ces pathologies médicales vont à leur tour entrainer un plus grand risque d’insomnie et, ici encore, la boucle est bouclée.  

Insomnie : qui contacter et que faire ?

Si vous pensez être insomniaque et que vous n’avez pas encore établi de démarches en ce sens, votre médecin traitant sera votre premier interlocuteur. 

Selon la gravité du trouble, ce dernier évaluera avec vous si un traitement est nécessaire et vous enverra si besoin vers un thérapeute (de préférence formé aux troubles du sommeil) ou un spécialiste en clinique du sommeil (si l’origine semble plus d’origine médicale). 

Souvent, l’insomnie ne nécessite pas de réaliser des examens complémentaires telle qu’une polysomnographie (l’examen le plus complet du sommeil qui se fait majoritairement à l’hôpital).  La prise en charge sera le plus souvent de type psychothérapeutique, idéalement une thérapie cognitive et comportementale de l’insomnie (TCC-I), reconnue aujourd’hui par la communauté scientifique comme étant le traitement de première intention (et remboursé en partie par certaines mutuelles en Belgique), et à laquelle je suis d’ailleurs formée.  

Prévenir, plutôt que guérir

L’insomnie est l’une des pathologies les plus inquiétantes que rencontre notre société.

Les médecins et psychologues commencent à se former de plus en plus et il existe aujourd’hui des prises en charges qui donnent d’excellents résultats, dont la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie, spécifiquement conçue pour traiter l’insomnie.

Cependant, au niveau préventif, il y a encore beaucoup de travail à faire face à ce trouble du sommeil qui gagne de plus en plus du terrain.

Il me paraît nécessaire et même urgent de mettre en place un programme éducatif de prévention à l’attention des enfants, des adolescents et des adultes. 

Parfois, de simples changements apportés au mode de vie peuvent permettre d’adopter des bonnes habitudes de sommeil, et ce dès l’enfance. 

Bien dormir, ça s’apprend, et à tout âge !

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Je terminerai avec les mots si justes de cette grande femme de lettres qu’est Marguerite Duras :

« C’est comme si on avait perdu la recette.  Elle survient de façon brutale.  Tout à coup, on ne dort pas, comme une irruption dans la vie quotidienne.  Elle tombe du ciel.  Elle n’a rien à voir avec le fait de ne pas dormir, la fausse insomnie provoquée par des ennuis, où on traîne sa vie du jour dans la nuit. La vraie insomnie entraîne une familiarité avec la mort et lui fait perdre son visage d’horreur.  Dans l’insomnie, on a l’impression de s’introduire dans un lieu défendu, dans un territoire interdit où les autres ne sont pas allés.  C’est comme si on n’avait pas le droit de dormir, car la nuit il faut dormir.  C’est un temps invivable, où règne la solitude.  Cette transgression fait passer de l’intelligence supportable du quotidien à celui de la grande intelligence de la nuit où on est au bord de tout voir, surtout la vanité des choses.  C’est une expérience profonde qui creuse l’intelligence.  Cette connaissance est un enfer. Elle marque la fin d’une naïveté : je n’ai jamais rencontré de grands insomniaques qui soient naïfs ». (Eloge de l’insomnie, Michèle Manceaux)

Et vous, souffrez-vous d’insomnie ? Quel type d’insomniaque êtes-vous ?

Avez-vous déjà consulté ? Si, oui, avez-vous eu des résultats ?

Partagez votre expérience en commentant cet article ! Je me ferai un plaisir d’échanger avec vous sur le sujet. 

Caroline