Dormez-vous suffisamment ?
L’omniprésence de la lumière artificielle et des écrans, les horaires de travail chargés, l’éloignement géographique entre le lieu de vie et le lieu de travail qui nécessite de se lever plus tôt, les occupations liées aux enfants et à la famille, la course à la productivité et le stress sont autant de facteurs qui peuvent écourter nos nuits.
Perçu souvent sans gravité, un déficit de sommeil peut pourtant avoir de graves conséquences.
Si le besoin de sommeil est difficile à évaluer car il dépend de nombreux facteurs (génétiques, environnementaux, état de santé…), retenez qu’en moyenne, pour un adulte en bonne santé, 7 à 8 heures de sommeil sont nécessaires pour préserver la santé physique et psychologique. L’adolescent, quant à lui, a besoin d’environ 9 heures de sommeil.
Dans cet article, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Le ton va être plus incisif et, je ne vous le cache pas, assez alarmiste.
Nous vivons dans une société qui nous en demande chaque jour un peu plus. Dormir suffisamment et bénéficier d’un sommeil réparateur n’a donc jamais été autant d’actualité.
Pourtant, paradoxalement, nous dormons moins qu’avant. Depuis les années 50, nous avons perdu en moyenne deux heures de sommeil par nuit.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, nos nations industrialisées connaissent une véritable « épidémie » de manque de sommeil.
Impact sur la santé (des troubles de l’humeur à la dépression, en passant par les maladies cardiovasculaires, les risques d’obésité ou de cancer), le système éducatif (problèmes d’apprentissage et de comportements) et socio-économique (accidents de travail et de la route, plus grand recours aux soins de santé, taux d’absentéisme qui grimpe en flèche) : le manque de sommeil a un coût, celui de la vie parfois.
La faute à qui, à quoi ? À nos nouvelles habitudes de vie principalement.
Nous sommes surstimulés, hyperconnectés et littéralement sous pression pour certains. La lumière artificielle, les écrans, le surmenage, le stress et l’anxiété sont les grands ennemis du sommeil.
Nous avons fait d’énormes progrès, mais nous ne sommes pour autant pas devenus des superhéros capables de nous suffire de 5 ou 6 heures de sommeil. Notre rythme biologique n’est pas programmé comme cela.
Il existe peut-être des individus capables de survivre en ne dormant que très peu, mais les vrais petits dormeurs sont rares (environ 1 % de la population). En réalité, la plupart d’entre nous accumulons une dette de sommeil que nous tentons de rattraper tant bien que mal le weekend ou lors des rares vacances que nous nous accordons. Or, on ne récupère jamais totalement du sommeil perdu.
La conséquence sociale la plus évidente et mortelle du manque de sommeil est la conduite en état de somnolence.
En Europe, on estime que 10 à 20 % des accidents mortels de la circulation et 20 à 30 % des accidents mortels sur autoroute sont dus à la somnolence et à l’inattention au volant (source: awsr.be).
Il existe deux cas d’accidents liés à la somnolence au volant.
Le premier est celui des personnes s’endormant complètement, mais il est plutôt rare. Le second, plus courant, est celui du manque de concentration passager : on l’appelle « micro-sommeil ». Il ne dure que quelques secondes pendant lesquelles les paupières se ferment partiellement ou totalement. Le cerveau se déconnecte, la conscience disparait, ainsi que les réactions motrices.
Le Dr Matthew Walker, professeur de neurosciences et de psychologie, éminent spécialiste du sommeil, défend l’idée selon laquelle : “il n’y a pas d’accidents causés par la fatigue, les microsommeils ou le fait de s’endormir. Absolument aucun. Il y a des crashes. Le Littré définit l’accident comme “ce qui advient fortuitement”. Les morts liées à la fatigue au volant n’ont rien de fortuit. Elles sont prévisibles et le résultat direct d’un sommeil insuffisant. En tant que telles, elles sont inutiles et évitables. » (issu de son brillant ouvrage « Pourquoi nous dormons »).
Si vous pensez que la simple volonté ou l’utilisation de techniques comme baisser la vitre de la voiture ou monter le son de la radio sont efficaces pour lutter contre la somnolence au volant, sachez que c’est faux. La seule arme contre la somnolence au volant est le sommeil. Votre volonté, même de fer, de rester éveillé n’y changera rien, d’autant plus qu’elle peut mettre en péril votre vie et celle des autres.
Une sieste rapide de 20 à 30 minutes sera bien plus efficace, mais elle a ses limites, tout comme la caféine. Toutes deux ne remplaceront jamais une bonne nuit de sommeil.
À partir de quel degré de manque de sommeil nos performances peuvent être altérées ?
Une étude sur l’attention réalisée par David Dinges de l’Université de Pennsylvanie a mis en évidence qu’après 10 nuits de 6 heures, les performances sont tout aussi altérées que lors d’une privation de sommeil de 24 heures d’affilée.
Ces résultats sont pour le moins inquiétants quand on sait que la plupart d’entre nous sommes en manque chronique de sommeil. De plus, nous sommes tellement habitués à avoir un fonctionnement en dessous de nos capacités que nous avons tendance à largement sous-estimer le niveau de dégradation de nos performances.
Des études par imagerie résonance magnétique (IRM) montrent que notre cerveau, lorsqu’il est privé de sommeil, retourne vers un état primitif conduisant à des réactions émotionnelles intenses et inappropriées.
Cette suractivité des centres des émotions du cerveau est aggravée par un manque de régulation provenant des zones cérébrales impliquées dans le contrôle rationnel (le cortex préfrontal). En d’autres mots, nous devenons plus imprévisibles, à cran et moins réfléchis.
On constate souvent une certaine forme d’irritabilité et une humeur négative chez les personnes en manque de sommeil. Pour autant, ce n’est pas uniquement le versant négatif des émotions qui est impacté.
En réalité, un cerveau trop fatigué se balance d’un extrême émotionnel à l’autre, et les extrêmes sont souvent préjudiciables.
On peut ainsi voir apparaitre de la dépression, des idées suicidaires, de la violence, des problèmes de comportement chez les enfants, mais aussi une bonne humeur excessive et de l’hypersensibilité pouvant engendrer la recherche de sensations fortes via des prises de risques et des addictions.
Ces effets délétères sur la santé mentale ont amené les scientifiques à réfléchir au lien entre le sommeil et les maladies psychiatriques.
L’anxiété, la dépression, le syndrome de stress post-traumatique, le trouble bipolaire et la schizophrénie sont des pathologies psychiatriques qui sont quasi toujours associées à des troubles du sommeil.
Si ces affections mentales nécessitent une prise en charge adaptée, l’amélioration de la quantité, de la qualité et de la régularité du sommeil peut véritablement en atténuer les symptômes. La thérapie cognitive et comportementale de l’insomnie (TCC-I) apporte par ailleurs de très bons résultats dans ce domaine.
Un adulte sur 10 de plus de 65 ans souffre de la maladie d’Alzheimer. Cela représente pas moins de 40 millions de personnes dans le monde.
Cette démence, une des maladies les plus redoutées par notre société (avec le cancer), est devenue l’un des enjeux économiques et de santé publique les plus importants de notre siècle.
L’hypothèse avancée actuellement est que le manque de sommeil serait un facteur déterminant dans le développement de la maladie d’Alzheimer.
Avec l’âge, la qualité du sommeil se dégrade, et plus particulièrement le sommeil profond qui joue un rôle essentiel dans le renforcement de la mémoire. Si vous voulez en savoir plus sur les particularités des différentes phases du sommeil, je vous renvoie à l’article que j’ai rédigé à ce sujet.
Chez les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, le sommeil profond est encore plus affecté et cette perturbation s’aggrave proportionnellement à la sévérité des symptômes. Pour couronner le tout, plus de 60% des personnes atteintes de cette démence présentent au moins un trouble du sommeil, l’un des plus fréquents étant l’insomnie.
Des études plus récentes montrent que le lien entre un mauvais sommeil et la maladie d’Alzheimer agirait tel un cercle vicieux. Ceci s’explique par l’accumulation dans le cerveau d’une protéine toxique pour les neurones et plus particulièrement au niveau du lobe frontal, celui-là même qui permet la génération électrique du sommeil profond.
Plus récemment, la neurobiologiste danoise Maiken Nedergaard, du Centre médical de l’Université de Rochester (New York) a découvert qu’un véritable “nettoyage neurologique” s’opère pendant le sommeil profond et permet à notre cerveau de fonctionner correctement lorsque nous nous réveillons chaque matin. Dans la maladie d’Alzheimer, ce mécanisme ne se ferait pas adéquatement. Il y a donc l’effet cumulé de deux facteurs aggravants : l’accumulation d’une protéine toxique dans le cerveau et la diminution de la possibilité de l’évacuer.
Une prédiction peut alors être formulée : manquer de sommeil tout au long de sa vie augmenterait significativement le risque de développer la maladie d’Alzheimer. Inversement, et c’est une excellente nouvelle, le sommeil aurait un effet protecteur contre cette pathologie en diminuant le risque de la développer ou, du moins, en retardant son apparition.
Un déficit de sommeil a des conséquences terribles sur notre corps, allant jusqu’à endommager chaque cellule le composant et même notre ADN.
De nombreuses études épidémiologiques de grande envergure qui ont suivi des millions de personnes sur des décennies arrivent toutes à la même conclusion : moins nous dormons, plus nous réduisons notre espérance de vie.
Le manque de sommeil est corrélé avec un risque accru de développer une maladie du cœur.
Avec l’âge, lorsque le corps commence à se détériorer, ce risque est encore plus important.
Les adultes de 45 ans ou plus dormant moins de 6 heures par nuit ont 200 % plus de risques de faire une crise cardiaque que ceux qui dorment 7 ou 8 heures.
Si le cœur souffre autant de la privation de sommeil, c’est notamment en raison de l’augmentation de la pression artérielle.
Quand le sommeil est négligé, c’est tout notre corps qui subit une pression permanente, et ce n’est pas seulement la privation de sommeil sur le long terme qui y contribue. Des perturbations de sommeil, même minimes, peuvent déjà avoir de graves conséquences sur l’organisme.
Un exemple frappant est le passage à l’heure d’été qui fait perdre une heure de sommeil à 1,5 milliard de personnes dans le monde. Cette réduction de sommeil, en apparence banale, entraine une nette augmentation de crises cardiaques le jour suivant.
Un déficit de sommeil est associé à un risque accru de prise de poids et d’obésité car il provoque un déséquilibre hormonal. De fait, il augmente la concentration de l’hormone responsable de la sensation de faim (la ghréline) et fait baisser celle qui est responsable de la sensation de satiété (la leptine).
Une personne manquant de sommeil va donc manger davantage mais aussi choisir des aliments plus sucrés car elle contrôle moins bien ses pulsions alimentaires (les fameuses fringales ).
Il existe un autre facteur aggravant la prise de poids : la sédentarité. En effet, quand nous dormons moins, nous sommes aussi moins énergiques et donc beaucoup plus sédentaires.
Enfin, la privation de sommeil augmente le risque de développer un diabète de type 2, appelé aussi insulino-dépendant. Ceci s’explique par une mauvaise régulation de la glycémie qui entraine le maintien d’une plus grande quantité de sucre dans le sang.
Chez l’homme, le manque de sommeil est associé à une diminution du nombre de spermatozoïdes qui vont devenir également moins performants.
Chez la femme, il perturbe l’ovulation et augmente le risque de fausses couches lors du premier trimestre.
Quand nous tombons malade, notre corps appelle à davantage de repos, et ce n’est pas pour rien.
Le sommeil, via la libération des hormones de croissance, aide à lutter contre la maladie en renforçant le système immunitaire. Inversement, un manque de sommeil va nous exposer davantage aux infections.
En cas de vaccination, le sommeil va permettre à l’organisme de développer davantage d’anticorps car il participe au renouvellement cellulaire.
A partir de quel degré de manque de sommeil notre système immunitaire est-il affecté ?
Le docteur Michael Irwin, de l’Université de Californie, a démontré qu’une seule nuit de 4 heures de sommeil supprime déjà 70 % de certaines cellules impliquées dans la lutte contre les tumeurs malignes.
En Europe, une étude menée sur 25 000 personnes a démontré que dormir 6 heures ou moins est associé à une augmentation de 40 % des risques de développer un cancer, par rapport à un sommeil de 7 heures ou plus. Le manque de sommeil n’accroit pas seulement le risque de déclarer la maladie. Il agit aussi comme un facteur aggravant la propagation des cellules cancéreuses.
Enfin, un grand nombre d’études épidémiologiques concluent que le travail de nuit augmente drastiquement les risques de développer certains cancers (du sein, de la prostate, de l’utérus et du colon). L’OMS a d’ailleurs classé officiellement le travail de nuit comme “probablement cancérogène”. De là à ce que le cancer puisse être reconnu en tant que maladie professionnelle chez les travailleurs de nuit qui manquent drastiquement de sommeil (dormir le jour n’est pas aussi quantitatif et qualitatif que dormir la nuit)… Espérons que la médecine du travail évolue bientôt dans ce sens.
L’impact du déficit de sommeil sur la vie collective est d’une importance capitale.
Cependant, dans notre société actuelle, la culture d’entreprise perçoit souvent le sommeil comme inutile. Cette mentalité “antisommeil” est influencée en partie par la fameuse croyance populaire : “le temps c’est de l’argent”. Dormir est perçu comme une perte de temps et donc de productivité. L’image du travailleur qui dort peu et ne compte pas ses heures est même glorifiée, voire encouragée.
Or, ce que notre société capitaliste ignore, c’est que le manque de sommeil représente un coût économique considérable. Pour vous donner un exemple, il coûte aux Etats-Unis et au Japon respectivement 411 et 138 milliards de dollars par an !
Toutes les études scientifiques de ces dernières années arrivent d’ailleurs au même constat : le manque de sommeil entraine une baisse importante de la productivité. De ce constat découle une évidence : il faut alors plus de temps pour accomplir une tâche, ce qui amène la plupart d’entre nous à travailler plus longtemps et plus tard, rentrer tard chez nous, dormir tard et nous réveiller plus tôt… Cqfd !
Le système éducatif actuel prive aussi nos enfants et adolescents d’un sommeil tellement crucial pour leur croissance mentale et physique, car dormir fait grandir, apprendre et s’épanouir. Notre culture, qui fait la sourde oreille en imposant des horaires de cours bien trop matinaux, freine sans le savoir les futures générations dans leur développement.
Heureusement, certaines entreprises ont pris conscience qu’il était nécessaire de reconnaitre la valeur du sommeil, et les bénéfices s’en sont très vite ressentis : moins d’absentéisme, davantage de productivité, de créativité, d’efficacité, d’enthousiasme au travail, de solidarité, de bien-être et de rentabilité !
Nous assistons depuis quelques décennies à une véritable destruction du sommeil.
Cette épidémie, passée sous silence, représente le plus grand défi de santé publique de notre siècle.
S’il est difficile de lutter contre la culture antisommeil ambiante, nous pouvons déjà agir au niveau personnel, et pourquoi pas dans notre cercle familial et amical en transmettant la valeur du sommeil.
Il y a bien sur toujours plus et mieux à faire que de dormir : un travail à terminer, une fête à célébrer, une série à regarder… Et puis, nous aurons bien le temps de nous reposer plus tard. Pourquoi pas lors de notre retraite ou pire, comme je l’entends encore souvent : « Quand je serai mort(e) » ? Vraiment ?!
On ne remet pas le sommeil à plus tard, et j’espère vous en avoir convaincu à la lecture de cet article.
Si la pression sociétale vous parait prendre le dessus, au point que vous culpabilisiez de revendiquer un temps de repos bien mérité et surtout vital, vous avez maintenant tous les arguments pour faire taire les bien-pensants et autres bourreaux de travail.
Bénéficier d’une bonne nuit de sommeil n’est pas une honte et encore moins un luxe. C’est une nécessité et une question de survie !
Cet article vous a plu ?
N’hésitez pas à me donner votre avis et à partager votre expérience en commentaire.
Prenez bien soin de votre sommeil, il prendra soin de vous.
Caroline
Commentaires récents